Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
consuelo.

plein de feu pénétra en elle, et, vaincue, fascinée à son tour, elle laissa tomber sur lui une longue et profonde œillade qui fut comme le scel apposé sur son brevet de célébrité. Dans cette mémorable soirée, Anzoleto avait dominé son public et désarmé son plus redoutable ennemi ; car la belle cantatrice n’était pas seulement reine sur les planches, mais encore à l’administration et dans le cabinet du comte Zustiniani.

IV.

Au milieu des applaudissements unanimes, et même un peu insensés, que la voix et la manière du débutant avaient provoqués, un seul auditeur, assis sur le bord de sa chaise, les jambes serrées et les mains immobiles sur ses genoux, à la manière des dieux égyptiens, restait muet comme un sphinx et mystérieux comme un hiéroglyphe : c’était le savant professeur et compositeur célèbre, Porpora. Tandis que son galant collègue, le professeur Mellifiore, s’attribuant tout l’honneur du succès d’Anzoleto, se pavanait auprès des femmes, et saluait tous les hommes avec souplesse pour remercier jusqu’à leurs regards, le maître du chant sacré se tenait là les yeux à terre, les sourcils froncés, la bouche close, et comme perdu dans ses réflexions. Lorsque toute la société, qui était priée ce soir-là à un grand bal chez la dogaresse, se fut écoulée peu à peu, et que les dilettanti les plus chauds restèrent seulement avec quelques dames et les principaux artistes autour du clavecin, Zustiniani s’approcha du sévère maestro.

— C’est trop bouder contre les modernes, mon cher professeur, lui dit-il, et votre silence ne m’en impose point. Vous voulez jusqu’au bout fermer vos sens à cette musique profane et à cette manière nouvelle qui nous