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consuelo.

brûlante monter à ses joues, et elle quitta précipitamment le Schreckenstein en se promettant presque de n’y plus revenir. Cependant elle y laissa un petit panier de fruits qu’elle avait apporté.

Mais le lendemain, elle trouva le panier à la même place ; on n’y avait pas touché. Les feuilles qui recouvraient les fruits n’avaient pas même été dérangées par un mouvement de curiosité. Son offrande avait été dédaignée, ou bien ni Albert ni Zdenko n’étaient venus par là ; et pourtant la lueur rouge d’un feu de sapin avait brillé encore durant cette nuit sur le sommet de la montagne.

Consuelo avait veillé jusqu’au jour pour observer cette particularité. Elle avait vu plusieurs fois la clarté décroître et se ranimer, comme si une main vigilante l’eût entretenue. Personne n’avait vu de zingari dans les environs. Aucun étranger n’avait été signalé sur les sentiers de la forêt ; et tous les paysans que Consuelo interrogeait sur le phénomène lumineux de la pierre d’épouvante, lui répondaient en mauvais allemand, qu’il ne faisait pas bon d’approfondir ces choses-là, et qu’il ne fallait pas se mêler des affaires de l’autre monde.

Cependant, il y avait déjà neuf jours qu’Albert avait disparu. C’était la plus longue absence de ce genre qu’il eût encore faite, et cette prolongation, jointe aux sinistres présages qui avaient annoncé l’avènement de sa trentième année, n’était pas propre à ranimer les espérances de la famille. On commençait enfin à s’agiter ; le comte Christian soupirait à toute heure d’une façon lamentable ; le baron allait à la chasse sans songer à rien tuer ; le chapelain faisait des prières extraordinaires ; Amélie n’osait plus rire ni causer, et la chanoinesse, pâle et affaiblie, distraite des soins domestiques, et oublieuse de son ouvrage en tapisserie, égrenait son chapelet du