Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/330

Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
consuelo.

Mais, de grâce, passons outre, ma chère Nina ; en voilà bien assez sur ce chapitre, et cet idiot ne me cause pas le même intérêt qu’à vous. Je suis fort rebattue de ses romans et de ses chansons, et sa voix cassée me donne mal à la gorge.

— Je suis étonnée, dit Consuelo en se laissant entraîner par sa compagne, que cette voix n’ait pas pour vos oreilles un charme extraordinaire. Tout éteinte qu’elle est, elle me fait plus d’impression que celle des plus grands chanteurs.

— C’est que vous êtes blasée sur les belles choses, et que la nouveauté vous amuse.

— Cette langue qu’il chante est d’une singulière douceur, reprit Consuelo, et la monotonie de ses mélodies n’est pas ce que vous croyez : ce sont, au contraire, des idées bien suaves et bien originales.

— Pas pour moi, qui en suis obsédée, repartit Amélie ; j’ai pris dans les commencements quelque intérêt aux paroles, pensant avec les gens du pays que c’étaient d’anciens chants nationaux fort curieux sous le rapport historique ; mais comme il ne les dit jamais deux fois de la même manière, je suis persuadée que ce sont des improvisations, et je me suis bien vite convaincue que cela ne valait pas la peine d’être écouté, bien que nos montagnards s’imaginent y trouver à leur gré un sens symbolique. »

Dès que Consuelo put se débarrasser d’Amélie, elle courut au jardin, et retrouva Zdenko à la même place, sur le revers du fossé, absorbé dans le même jeu. Certaine que ce malheureux avait des relations cachées avec Albert, elle était entrée furtivement dans l’office, et y avait dérobé un gâteau de miel et de fleur de farine, pétri avec soin des propres mains de la chanoinesse. Elle se souvenait d’avoir vu Albert, qui man-