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où il se réfugie contre le froid et l’orage. Jamais, depuis dix ans, on ne l’a vu entrer sous un autre toit que celui du château des Géants, parce qu’il prétend que ses aïeux sont dans toutes les maisons du pays, et qu’il lui est défendu de se présenter devant eux. Cependant il suit Albert jusque dans sa chambre, parce qu’il est aussi dévoué et aussi soumis à Albert que son chien Cynabre. Albert est le seul mortel qui enchaîne à son gré cette sauvage indépendance, et qui puisse d’un mot faire cesser son intarissable gaieté, ses éternelles chansons, et son babil infatigable. Zdenko a eu, dit-on, une fort belle voix, mais il l’a épuisée à parler, à chanter et à rire. Il n’est guère plus âgé qu’Albert, quoiqu’il ait l’apparence d’un homme de cinquante ans. Ils ont été compagnons d’enfance. Dans ce temps-là, Zdenko n’était qu’à demi fou. Descendant d’une ancienne famille (un de ses ancêtres figure avec quelque éclat dans la guerre des hussites), il montrait assez de mémoire et d’aptitude pour que ses parents, voyant la faiblesse de son organisation physique, l’eussent destiné au cloître. On l’a vu longtemps en habit de novice d’un ordre mendiant : mais on ne put jamais l’astreindre au joug de la règle ; et quand on l’envoyait en tournée avec un des frères de son couvent, et un âne chargé des dons des fidèles, il laissait là la besace, l’âne et le frère, et s’en allait prendre de longues vacances au fond des bois. Lorsque Albert entreprit ses voyages, Zdenko tomba dans un noir chagrin, jeta le froc aux orties, et se fit tout à fait vagabond. Sa mélancolie se dissipa peu à peu ; mais l’espèce de raison qui avait toujours brillé au milieu de la bizarrerie de son caractère s’éclipsa tout à fait. Il ne dit plus que des choses incohérentes, manifesta toutes sortes de manies incompréhensibles, et devint réellement insensé. Mais comme il resta toujours sobre,