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sous les deux espèces, et que qui mangeait l’un buvait l’autre. Comprenez-vous ?

— Il me semble que les Pères du concile ne se comprenaient pas beaucoup eux-mêmes. Ils eussent dû dire, pour être dans la logique, que la communion du vin était inutile ; mais profanatoire ! pourquoi, si, en mangeant le pain, on boit aussi le sang ?

— C’est que les hussites avaient une terrible soif de sang, et que les Pères du concile les voyaient bien venir. Eux aussi avaient soif du sang de ce peuple ; mais, ils voulaient le boire sous l’espèce de l’or. L’église romaine a toujours été affamée et altérée de ce suc de la vie des nations, du travail et de la sueur des pauvres. Les pauvres se révoltèrent, et reprirent leur sueur et leur sang dans les trésors des abbayes et sur la chape des évêques. Voilà tout le fond de la querelle, à laquelle vinrent se joindre, comme je vous l’ai dit, le sentiment d’indépendance nationale et la haine de l’étranger. La dispute de la communion en fut le symbole. Rome et ses prêtres officiaient dans des calices d’or et de pierreries ; les hussites affectaient d’officier dans des vases de bois, pour fronder le luxe de l’Église, et pour simuler la pauvreté des apôtres. Voilà pourquoi Albert, qui s’est mis dans la cervelle de se faire hussite, après que ces détails du passé ont perdu toute valeur et toute signification ; Albert, qui prétend connaître la vraie doctrine de Jean Huss mieux que Jean Huss lui-même, invente toutes sortes de communions, et s’en va communiant sur les chemins avec les mendiants, les païens, et les imbéciles. C’était la manie des hussites de communier partout, à toute heure, et avec tout le monde.

— Tout ceci est fort bizarre, répondit Consuelo, et ne peut s’expliquer pour moi que par un patriotisme exalté, porté jusqu’au délire, je le confesse, chez le comte Al-