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consuelo.

elle ne put s’empêcher de reporter son intérêt dominant sur Albert, qui expirait peut-être de fatigue et d’inanition dans quelque coin de la forêt, sans savoir retrouver sa route, ou qui reposait peut-être sur quelque froide pierre, enchaîné par la catalepsie foudroyante, exposé aux loups et aux serpents, tandis que, sous la main adroite et persévérante de la tendre Wenceslawa, les fleurs les plus brillantes semblaient éclore par milliers sur la trame, arrosées parfois d’une larme furtive, mais stérile.

Aussitôt qu’elle put engager la conversation avec la boudeuse Amélie, elle lui demanda ce que c’était qu’un fou fort mal fait qui courait le pays singulièrement vêtu, en riant comme un enfant aux personnes qu’il rencontrait.

« Eh ! c’est Zdenko ! répondit Amélie ; vous ne l’aviez pas encore aperçu dans vos promenades ? On est sûr de le rencontrer partout, car il n’habite nulle part.

— Je l’ai vu ce matin pour la première fois, dit Consuelo, et j’ai cru qu’il était l’hôte attitré du Schreckenstein.

— C’est donc là que vous avez été courir dès l’aurore ? Je commence à croire que vous êtes un peu folle vous-même, ma chère Nina, d’aller ainsi seule de grand matin dans ces lieux déserts, où vous pourriez faire de plus mauvaises rencontres que celle de l’inoffensif idiot Zdenko.

— Être abordée par quelque loup à jeun ? reprit Consuelo en souriant ; la carabine du baron votre père doit, ce me semble, couvrir de sa protection tout le pays.

— Il ne s’agit pas seulement des bêtes sauvages, dit Amélie ; le pays n’est pas si sûr que vous croyez, par rapport aux animaux les plus méchants de la création, les brigands et les vagabonds. Les guerres qui viennent de finir ont ruiné assez de familles pour que beaucoup