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battues par les flots, sans avoir eu un instant de crainte pour sa pudeur, la seule richesse qu’elle eût à cœur de conserver ! Hélas ! se disait-elle, que ces gens-ci sont à plaindre d’avoir tant de choses à garder ! La sécurité est le but qu’ils poursuivent jour et nuit, et, à force de la chercher, ils n’ont ni le temps de la trouver, ni celui d’en jouir. Elle soupirait donc déjà comme Amélie dans cette noire prison, dans ce morne château des Géants, où le soleil lui-même semblait craindre de pénétrer. Mais au lieu que la jeune baronne rêvait de fêtes, de parures et d’hommages, Consuelo rêvait d’un sillon, d’un buisson ou d’une barque pour palais, avec l’horizon pour toute enceinte, et l’immensité des cieux étoilés pour tout spectacle.

Forcée par le froid du climat et par la clôture du château à changer l’habitude vénitienne qu’elle avait prise de veiller une partie de la nuit et de se lever tard le matin, après bien des heures d’insomnie, d’agitation et de rêves lugubres, elle réussit enfin à se plier à la loi sauvage de la claustration ; et elle s’en dédommagea en hasardant seule quelques promenades matinales dans les montagnes voisines. On ouvrait les portes et on baissait les ponts aux premières clartés du jour ; et tandis qu’Amélie, occupée une partie de la nuit à lire des romans en cachette, dormait jusqu’à l’appel de la cloche du déjeuner, la Porporina allait respirer l’air libre et fouler les plantes humides de la forêt.

Un matin qu’elle descendait bien doucement sur la pointe du pied pour n’éveiller personne, elle se trompa de direction dans les innombrables escaliers et dans les interminables corridors du château, qu’elle avait encore de la peine à comprendre. Égarée dans ce labyrinthe de galeries et de passages, elle traversa une sorte de vestibule qu’elle ne connaissait pas, et crut trouver par là