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consuelo.

tice et la démence régner sur la terre. J’ai vu les hommes et leurs institutions ; l’indignation a fait place dans mon cœur à la pitié, en reconnaissant que l’infortune des opprimés était moindre que celle des oppresseurs. Dans mon enfance, je n’aimais que les victimes : je me suis pris de charité pour les bourreaux, pénitents déplorables qui portent dans cette génération la peine des crimes qu’ils ont commis dans des existences antérieures, et que Dieu condamne à être méchants, supplice mille fois plus cruel que celui d’être leur proie innocente. Voilà pourquoi je ne fais plus l’aumône que pour me soulager personnellement du poids de la richesse, sans vous tourmenter de mes prédications, connaissant aujourd’hui que le temps n’est pas venu d’être heureux, puisque le temps d’être bon est loin encore, pour parler le langage des hommes.

« — Et maintenant que tu es délivré de ce surveillant, comme tu l’appelles, maintenant que tu peux vivre tranquille, sans avoir sous les yeux le spectacle de misères que tu éteins une à une autour de toi, sans que personne contrarie ton généreux entraînement, ne peux-tu faire un effort sur toi-même pour chasser tes agitations intérieures ?

« — Ne m’interrogez plus ; mes chers parents, répondit Albert ; je ne dirai plus rien aujourd’hui. »

« Il tint parole, et au-delà ; car il ne desserra plus les dents de toute une semaine. »

XXXI.

« L’histoire d’Albert sera terminée en peu de mots, ma chère Porporina, parce qu’à moins de vous répéter ce que vous avez déjà entendu, je n’ai presque plus