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consuelo.

quelques paroles imprudentes m’échappent, je m’aperçois bientôt après que je vous ai fait un mal affreux en voulant déraciner vos chimères et secouer devant vos yeux affaiblis la flamme éclatante que je porte dans mes mains. Tous les détails, toutes les habitudes de votre vie, tous les fibres de votre cœur, tous les ressorts de votre intelligence sont tellement liés, enlacés et rivés au joug du mensonge, à la loi des ténèbres, qu’il semble que je vous donne la mort en voulant vous donner la foi. Il y a pourtant une voix qui me crie dans la veille et dans le sommeil, dans le calme et dans l’orage, de vous éclairer et de vous convertir. Mais je suis un homme trop aimant et trop faible pour l’entreprendre. Quand je vois vos yeux pleins de larmes, vos poitrines gonflées, vos fronts abattus, quand je sens que je porte en vous la tristesse et l’épouvante, je m’enfuis, je me cache pour résister au cri de ma conscience et à l’ordre de ma destinée. Voilà mon mal, voilà mon tourment, voilà ma croix et mon supplice ; me comprenez-vous maintenant ? »

« Mon oncle, ma tante et le chapelain comprenaient jusqu’à un certain point qu’Albert s’était fait une morale et une religion complètement différentes des leurs ; mais, timides comme des dévots, ils craignaient d’aller trop avant, et n’osaient plus encourager sa franchise. Quant à moi, qui ne savais encore que vaguement les particularités de son enfance et de sa première jeunesse, je ne comprenais pas du tout. D’ailleurs, à cette époque, j’étais à peu près au même point que vous, Nina ; je savais fort peu ce que c’était que ce hussitisme et ce luthérianisme dont j’ai entendu si souvent parler depuis, et dont les controverses débattues entre Albert et le chapelain m’ont accablée d’un si lamentable ennui. J’attendais donc impatiemment une plus ample explication ; mais elle ne vint pas.