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consuelo.

« — Dites un autre compagnon de voyage, mon fils. Vous vous servez d’une expression injurieuse pour ma tendresse.

« — C’est votre tendresse qui causait votre sollicitude, ô mon père ! Vous ne pouviez pas savoir le mal que vous me faisiez en m’éloignant de vous et de cette maison, où ma place était marquée par la Providence jusqu’à une époque où ses desseins sur moi doivent s’accomplir. Vous avez cru travailler à ma guérison et à mon repos ; moi qui comprenais mieux que vous ce qui convient à nous deux, je savais bien que je devais vous seconder et vous obéir. J’ai connu mon devoir et je l’ai rempli.

« — Je sais votre vertu et votre affection pour nous, Albert ; mais ne sauriez-vous expliquer plus clairement votre pensée ?

« — Cela est bien facile, répondit Albert, et le moment de le faire est venu. »

« Il parlait avec tant de calme, que nous crûmes toucher au moment fortuné où l’âme d’Albert allait cesser d’être pour nous une énigme douloureuse. Nous nous serrâmes autour de lui, l’encourageant par nos regards et nos caresses à s’épancher entièrement pour la première fois de sa vie. Il parut décidé à nous accorder enfin cette confiance, et il parla ainsi.

« — Vous m’avez toujours pris, vous me prenez encore tous pour un malade et pour un insensé. Si je n’avais pour vous tous une vénération et une tendresse infinies, j’oserais peut-être approfondir l’abîme qui nous sépare, et je vous montrerais que vous êtes dans un monde d’erreur et de préjugés, tandis que le ciel m’a donné accès dans une sphère de lumière et de vérité. Mais vous ne pourriez pas me comprendre sans renoncer à tout ce qui fait votre calme, votre religion et votre sécurité. Lorsque, emporté à mon insu par des accès d’enthousiasme,