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geuse. En renonçant à toute pitié comme à toute gloire humaine, elle sentit une force céleste venir à son secours. Il faut que je retrouve une partie de mon ancien bonheur, se disait-elle ; celui que j’ai goûté longtemps et qui consistait tout entier à aimer les autres et à en être aimée. Le jour où j’ai cherché leur admiration, ils m’ont retiré leur amour, et j’ai payé trop cher les honneurs qu’ils ont mis à la place de leur bienveillance. Refaisons-nous donc obscure et petite, afin de n’avoir ni envieux, ni ingrats, ni ennemis sur la terre. La moindre marque de sympathie est douce, et le plus grand témoignage d’admiration est mêlé d’amertume. S’il est des cœurs orgueilleux et forts à qui la louange suffit, et que le triomphe console, le mien n’est pas de ce nombre, je l’ai trop cruellement éprouvé. Hélas ! la gloire m’a ravi le cœur de mon amant ; que l’humilité me rende du moins quelques amis !

Ce n’était pas ainsi que l’entendait le Porpora. En éloignant Consuelo de Venise, en la soustrayant aux dangers et aux déchirements de sa passion, il n’avait songé qu’à lui procurer quelques jours de repos avant de la rappeler sur la scène des ambitions, et de la lancer de nouveau dans les orages de la vie d’artiste. Il ne connaissait pas bien son élève. Il la croyait plus femme, c’est-à-dire, plus mobile qu’elle ne l’était. En songeant à elle dans ce moment-là, il ne se la représentait pas calme, affectueuse, et occupée des autres, comme elle avait déjà la force de l’être. Il la croyait noyée dans les pleurs et dévorée de regrets. Mais il pensait qu’une grande réaction devait bientôt s’opérer en elle, et qu’il la retrouverait guérie de son amour, ardente à reprendre l’exercice de sa force et les privilèges de son génie.

Ce sentiment intérieur si pur et si religieux que Consuelo venait de concevoir de son rôle dans la famille de