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nières qu’il fût impossible à Anzoleto de retrouver sa trace au cas où il se mettrait à la poursuivre ; précaution bien inutile, puisqu’à cette époque Anzoleto, après quelques velléités de ce genre, rapidement étouffées, n’était plus occupé que de ses débuts et de son succès à Venise.

En second lieu, Consuelo, voulant se concilier l’affection et l’estime de la famille qui donnait un asile momentané à son isolement et à sa douleur, comprenait bien qu’on l’accepterait plus volontiers simple musicienne, élève du Porpora et maîtresse de chant, que prima-donna, femme de théâtre et cantatrice célèbre. Elle savait qu’une telle situation avouée lui imposerait un rôle difficile au milieu de ces gens simples et pieux ; et il est probable que, malgré les recommandations du Porpora, l’arrivée de Consuelo, la débutante, la merveille de San-Samuel, les eût passablement effarouchés. Mais ces deux puissants motifs n’eussent-ils pas existé, Consuelo aurait encore éprouvé le besoin de se taire et de ne laisser pressentir à personne l’éclat et les misères de sa destinée. Tout se tenait dans sa vie, sa puissance et sa faiblesse, sa gloire et son amour. Elle ne pouvait soulever le moindre coin du voile sans montrer une des plaies de son âme ; et ces plaies étaient trop vives, trop profondes, pour qu’aucun secours humain pût les soulager. Elle n’éprouvait d’allégement au contraire que dans l’espèce de rempart qu’elle venait d’élever entre ses douloureux souvenirs et le calme énergique de sa nouvelle existence. Ce changement de pays, d’entourage, et de nom, la transportait tout à coup dans un milieu inconnu où, en jouant un rôle différent, elle aspirait à devenir un nouvel être.

Cette abjuration de toutes les vanités qui eussent consolé une autre femme, fut le salut de cette âme coura-