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consuelo.

que je suis malheureux de vous avoir causé une telle frayeur ! Comment aurais-je pu le prévoir ?

« — Tu sais que je suis ainsi. Laisse-moi donc te demander où tu as mangé, où tu as dormi depuis que tu nous as quittés !

« — Depuis ce matin, comment aurais-je eu envie de dormir ou de manger ?

« — Tu ne te sens pas malade ?

« — Pas le moins du monde.

« — Point fatigué ? Tu as sans doute beaucoup marché ! gravi les montagnes ? cela est fort pénible. Où as-tu été ?

« Albert mit la main sur ses yeux comme pour se rappeler ; mais il ne put le dire.

« — Je vous avoue, répondit-il, que je n’en sais plus rien. J’ai été fort préoccupé. J’ai marché sans rien voir, comme je faisais dans mon enfance, vous savez ? je ne pouvais jamais vous répondre quand vous m’interrogiez.

« — Et durant tes voyages, faisais-tu plus d’attention à ce que tu voyais ?

« — Quelquefois, mais pas toujours. J’ai observé bien des choses ; mais j’en ai oublié beaucoup d’autres, Dieu merci !

« — Et pourquoi Dieu merci ?

« — Parce qu’il y a des choses affreuses à voir sur la face de ce monde ! » répondit-il en se levant avec un visage sombre, que jusque-là ma tante ne lui avait pas trouvé.

« Elle vit qu’il ne fallait pas le faire causer davantage, et courut annoncer à mon oncle que son fils était retrouvé. Personne ne le savait encore dans la maison, personne ne l’avait vu rentrer. Son retour n’avait pas laissé plus de traces que son départ.

« Mon pauvre oncle, qui avait eu tant de courage pour supporter le malheur, n’en eut pas dans le premier mo-