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consuelo.

voulait l’en tirer brusquement, il était agité et comme souffrant pendant plusieurs jours.

« — Mais c’est une maladie, cela, dit la chanoinesse avec inquiétude.

« — Je ne le pense pas, répondit l’abbé. Je ne l’ai jamais entendu se plaindre de rien. Les médecins que j’ai fait venir lorsqu’il dormait ainsi, ne lui ont trouvé aucun symptôme de fièvre, et ont attribué cet accablement à quelque excès de travail ou de réflexion. Ils ont grandement conseillé de ne pas contrarier ce besoin de repos et d’oubli de toutes choses.

« — Et cela est fréquent ? demanda mon oncle.

« — J’ai observé ce phénomène cinq ou six fois seulement durant huit années, répondit l’abbé ; et, ne l’ayant jamais troublé par mes empressements, je ne l’ai jamais vu avoir de suites fâcheuses.

« — Et cela dure-t-il longtemps ? demandai-je à mon tour, fort impatientée.

« — Plus ou moins, dit l’abbé, suivant la durée de l’insomnie qui précède ou occasionne ces fatigues : mais nul ne peut le savoir, car monsieur le comte ne se souvient jamais de cette cause, ou ne veut jamais la dire. Il est extrêmement assidu au travail, et s’en cache avec une modestie bien rare.

« — Il est donc bien savant ? repris-je.

« — Il est extrêmement savant.

« — Et il ne le montre jamais ?

« — Il en fait mystère, et ne s’en doute pas lui-même.

« — À quoi cela lui sert-il, en ce cas ?

« — Le génie est comme la beauté, répondit ce jésuite courtisan en me regardant d’un air doucereux : ce sont des grâces du ciel qui ne suggèrent ni orgueil ni agitation à ceux qui les possèdent. »

« Je compris la leçon, et n’en eus que plus de dépit,