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ment à sa guise, et qu’il soit un philosophe studieux, comme l’ont été plusieurs de ses ancêtres, ou un chasseur passionné contre notre frère Frédérick, ou un seigneur juste et bienfaisant comme nous nous efforçons de l’être. Qu’il mène dès à présent la vie tranquille et inoffensive des vieillards : ce sera le premier des Rudolstadt qui n’aura point eu de jeunesse. Mais comme il ne faut pas qu’il soit le dernier de sa race, hâtons-nous de le marier, afin que les héritiers de notre nom effacent cette lacune dans l’éclat de nos destinées. Qui sait ? peut-être le généreux sang de ses aïeux se repose-t-il en lui par l’ordre de la Providence, afin de se ranimer plus bouillant et plus fier dans les veines de ses descendants.

« Et il fut décidé qu’on parlerait mariage à mon cousin Albert.

« On lui en parla doucement d’abord ; et comme on le trouvait aussi peu disposé à ce parti qu’à tous les autres, on lui en parla sérieusement et vivement. Il objecta sa timidité, sa gaucherie auprès des femmes. « Il est certain, disait ma tante, que, dans ma jeunesse, un prétendant aussi sérieux qu’Albert m’eût fait plus de peur que d’envie, et que je n’eusse pas échangé ma bosse contre sa conversation.

« — Il faut donc, lui dit mon oncle, revenir à notre pis-aller, et lui faire épouser Amélie. Il l’a connue enfant, il la considère comme sa sœur, il sera moins timide auprès d’elle ; et comme elle est d’un caractère enjoué et décidé, elle corrigera, par sa bonne humeur, l’humeur noire dans laquelle il semble retomber de plus en plus.

« Albert ne repoussa pas ce projet, et sans se prononcer ouvertement, consentit à me voir et à me connaître. Il fut convenu que je ne serais avertie de rien, afin de me sauver la mortification d’un refus toujours possible de sa part. On écrivit à mon père ; et dès