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consuelo.

prêt à capturer… Voilà la vérité, monsieur le comte : avouez que j’ai dit la vérité.

— Et quand cela serait, cher maestro, répondit le comte en souriant, que vous importe, et quel mal y trouvez-vous ?

— J’en trouve un fort grand, seigneur comte ; c’est que vous corrompez, vous perdez ces pauvres créatures.

— Ah çà, comment l’entendez-vous, farouche professeur ? Depuis quand vous faites-vous le père gardien de ces vertus fragiles ?

— Je l’entends comme il faut, monsieur le comte, et ne me soucie ni de leur vertu, ni de leur fragilité ; mais je me soucie de leur talent, que vous dénaturez et que vous avilissez sur vos théâtres, en leur donnant à chanter de la musique vulgaire et de mauvais goût. N’est-ce point une désolation, une honte de voir cette Corilla, qui commençait à comprendre grandement l’art sérieux, descendre du sacré au profane, de la prière au badinage, de l’autel au tréteau, du sublime au ridicule, d’Allegri et de Palestrina à Albinoni et au barbier Apollini ?

— Ainsi vous refusez, dans votre rigorisme, de me nommer cette fille, sur laquelle je ne puis avoir des vues, puisque j’ignore si elle possède d’ailleurs les qualités requises pour le théâtre ?

— Je m’y refuse absolument.

— Et vous pensez que je ne le découvrirai pas ?

— Hélas ! vous le découvrirez, si telle est votre détermination : mais je ferai tout mon possible pour vous empêcher de nous l’enlever.

— Eh bien, maître, vous êtes déjà à moitié vaincu ; car je l’ai vue, je l’ai devinée, je l’ai reconnue, votre divinité mystérieuse.

— Oui da ? dit le maître d’un air méfiant et réservé ; en êtes-vous bien sûr ?