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consuelo.

âme agitée ; ne détruisez pas son ouvrage par les caprices d’une tendresse puérile. »

« La chanoinesse se rendit à ces raisons, et tâcha de s’habituer à l’extérieur glacé d’Albert ; mais elle ne s’y habitua nullement, et elle disait souvent à l’oreille de son frère : Vous direz ce que vous voudrez, Christian, je crains qu’on ne nous l’ait abruti, en ne le traitant pas comme un homme, mais comme un enfant malade.

« Le soir, au moment de se séparer, on s’embrassa ; Albert reçut respectueusement la bénédiction de son père, et lorsque la chanoinesse le pressa sur son cœur, il s’aperçut qu’elle tremblait et que sa voix était émue. Elle se mit à trembler aussi, et s’arracha brusquement de ses bras, comme si une vive souffrance venait de s’éveiller en lui.

« — Vous le voyez, ma sœur, dit tout bas le comte, il n’est plus habitué à ces émotions, et vous lui faites du mal.

« En même temps, peu rassuré, et fort ému lui-même, il suivait des yeux son fils, pour voir si dans ses manières avec l’abbé, il surprendrait une préférence exclusive pour ce personnage. Mais Albert salua son gouverneur avec une politesse très-froide.

« — Mon fils, dit le comte, je crois avoir rempli vos intentions et satisfait votre cœur, en priant monsieur l’abbé de ne pas vous quitter comme il en manifestait déjà le projet, et en l’engageant à rester près de nous le plus longtemps qu’il lui sera possible. Je ne voudrais pas que le bonheur de nous retrouver en famille fût empoisonné pour vous par un regret, et j’espère que votre respectable ami nous aidera à vous donner cette joie sans mélange.

« Albert ne répondit que par un profond salut, et en même temps un sourire étrange effleura ses lèvres.

« — Hélas ! dit la chanoinesse lorsqu’il se fut éloigné, c’est donc là son sourire à présent. »