Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.
227
consuelo.

d’un habitant de l’autre monde, qui ne prend aucune part aux affaires de celui-ci.

« — C’est le caractère constant de monsieur le comte, répondit l’abbé ; c’est un homme concentré, qui ne fait part à personne de ses impressions, et qui, si je dois dire toute ma pensée, ne s’impressionne de presque rien d’extérieur. C’est le fait des personnes froides, sensées, réfléchies. Il est ainsi fait, et je crois qu’en cherchant à l’exciter, on ne ferait que porter le trouble dans cette âme ennemie de l’action et de toute initiative dangereuse.

« — Oh ! je fais serment que ce n’est pas là son vrai caractère ! s’écria la chanoinesse.

« — Madame la chanoinesse reviendra des préventions qu’elle se forme contre un si rare avantage.

« — En effet, ma sœur, dit le comte, je trouve que monsieur l’abbé parle fort sagement. N’a-t-il pas obtenu par ses soins et sa condescendance le résultat que nous avons tant désiré ? N’a-t-il pas détourné les malheurs que nous redoutions ? Albert s’annonçait comme un prodigue, un enthousiaste, un téméraire. Il nous revient tel qu’il doit être pour mériter l’estime, la confiance et la considération de ses semblables.

« — Mais effacé comme un vieux livre, dit la chanoinesse, ou peut-être raidi contre toutes choses, et dédaigneux de tout ce qui ne répond pas à ses secrets instincts. Il ne semble point heureux de nous revoir, nous qui l’attendions avec tant d’impatience !

« — Monsieur le comte était impatient lui-même de revenir, reprit l’abbé ; je le voyais, bien qu’il ne le manifestât pas ouvertement. Il est si peu démonstratif ! La nature l’a fait recueilli.

« — La nature l’a fait démonstratif, au contraire, répliqua-t-elle vivement. Il était quelquefois violent, et quelquefois tendre à l’excès. Il me fâchait souvent,