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environne ; et je dois dire que nous ne nous en trouvons pas mieux : car les exigences des petits et leurs besoins augmentent en raison des concessions qu’on leur fait, et nos bons paysans, jadis si humbles et si doux, lèvent beaucoup la tête, grâce aux prodigalités et aux beaux discours de leur jeune maître. Si nous n’avions la force impériale au-dessus de nous tous, pour nous protéger d’une part, tandis qu’elle nous opprime de l’autre, je crois que nos terres et nos châteaux eussent été pillés et dévastés vingt fois par les bandes de paysans des districts voisins que la guerre a affamés, et que l’inépuisable pitié d’Albert (célèbre à trente lieues à la ronde) nous a mis sur le dos, surtout dans ces dernières affaires de la succession de l’empereur Charles.

« Lorsque le comte Christian voulait faire au jeune Albert quelques sages remontrances, lui disant que donner tout dans un jour, c’était s’ôter le moyen de donner le lendemain :

« — Eh quoi, mon père bien-aimé, lui répondait-il, n’avons-nous pas, pour nous abriter, un toit qui durera plus que nous, tandis que des milliers d’infortunés n’ont que le ciel inclément et froid sur leurs têtes ? N’avons-nous pas chacun plus d’habits qu’il n’en faudrait pour vêtir une de ces familles couvertes de haillons ? Ne vois-je point sur notre table, chaque jour, plus de viandes et de bons vins de Hongrie qu’il n’en faudrait pour rassasier et réconforter ces mendiants épuisés de besoin et de lassitude ? Avons-nous le droit de refuser quelque chose tant que nous avons au-delà du nécessaire ? Et le nécessaire même, nous est-il permis d’en user quand les autres ne l’ont pas ? La loi du Christ a-t-elle changé ? »

« Que pouvaient répondre à de si belles paroles le comte et la chanoinesse, et le chapelain, qui avaient élevé ce jeune homme dans des principes de religion si