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consuelo.

des heures et des nuits entières. Vous eussiez vu et entendu là des choses qui vous eussent glacée d’effroi, et dont le souvenir ne se fût jamais effacé de votre mémoire.

— Taisez-vous, s’écria la jeune baronne en tressaillant sur sa chaise comme pour s’éloigner de la table où s’appuyait Albert, je ne comprends pas l’insupportable amusement que vous vous donnez de me faire peur, chaque fois qu’il vous plaît de desserrer les dents.

— Plût au ciel, ma chère Amélie, dit le vieux Christian avec douceur, que ce fût en effet un amusement pour votre cousin de dire de pareilles choses !

— Non, mon père, c’est très-sérieusement que je vous parle, reprit le comte Albert. Le chêne de la pierre d’épouvante est renversé, fendu en quatre, et vous pouvez demain envoyer les bûcherons pour le dépecer ; je planterai un cyprès à la place, et je l’appellerai non plus le Hussite, mais le Pénitent ; et la pierre d’épouvante, il y a longtemps que vous eussiez dû la nommer pierre d’expiation.

— Assez, assez, mon fils, dit le vieillard avec une angoisse extrême. Éloignez de vous ces tristes images, et remettez-vous à Dieu du soin de juger les actions des hommes.

— Les tristes images ont disparu, mon père ; elles rentrent dans le néant avec ces instruments de supplice que le souffle de l’orage et le feu du ciel viennent de coucher dans la poussière. Je vois, à la place des squelettes qui pendaient aux branches, des fleurs et des fruits que le zéphyr balance aux rameaux d’une tige nouvelle. À la place de l’homme noir qui chaque nuit rallumait le bûcher, je vois une âme toute blanche et toute céleste qui plane sur ma tête et sur la vôtre. L’orage se dissipe, ô mes chers parents ! Le danger est passé, ceux qui voyagent sont à l’abri ; mon âme est en paix. Le temps