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ments que la cour de Louis XV avait introduits dans les habitudes aristocratiques d’une grande partie de l’Europe. Un poêle immense, où brûlaient des chênes tout entiers, réchauffait la salle vaste et sombre. Le comte Christian venait d’achever à voix haute le Benedicite, que les autres membres de la famille avaient écouté debout. De nombreux serviteurs, tous vieux et graves, en costume du pays, en larges culottes de Mameluks, et en longues moustaches, se pressaient lentement autour de leurs maîtres révérés. Le chapelain du château s’assit à la droite du comte, et sa nièce, la jeune baronne Amélie, à sa gauche, le côté du cœur, comme il affectait de le dire avec un air de galanterie austère et paternelle. Le baron Frédérick, son frère puîné, qu’il appelait toujours son jeune frère, parce qu’il n’avait guère que soixante ans, se plaça en face de lui. La chanoinesse Wenceslawa de Rudolstadt, sa sœur aînée, respectable personnage sexagénaire affligé d’une bosse énorme et d’une maigreur effrayante, s’assit à un bout de la table, et le comte Albert, fils du comte Christian, le fiancé d’Amélie, le dernier des Rudolstadt, vint, pâle et morne, s’installer d’un air distrait à l’autre bout, vis-à-vis de sa noble tante.

De tous ces personnages silencieux, Albert était certainement le moins disposé et le moins habitué à donner de l’animation aux autres. Le chapelain était si dévoué à ses maîtres et si respectueux envers le chef de la famille, qu’il n’ouvrait guère la bouche sans y être sollicité par un regard du comte Christian ; et celui-ci était d’une nature si paisible et si recueillie, qu’il n’éprouvait presque jamais le besoin de chercher dans les autres une distraction à ses propres pensées.

Le baron Frédérick était un caractère moins profond et un tempérament plus actif ; mais son esprit n’était guère plus animé. Aussi doux et aussi bienveillant que