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consuelo.

à y souscrire, mais que nous finirons par nous y habituer.

— Tu m’as semblé fort bien habitué au boudoir de la Corilla.

— Et toi, je te retrouve très-aguerrie avec la gondole de monsieur le comte.

— Monsieur le comte ?… Tu savais donc, Anzoleto, que monsieur le comte voulait faire de moi sa maîtresse ?

— Et c’est pour ne pas te gêner, ma chère, que j’ai discrètement battu en retraite.

— Ah ! tu savais cela ? et c’est le moment que tu as choisi pour m’abandonner ?

— N’ai-je pas bien fait, et n’es-tu pas satisfaite de ton sort ? Le comte est un amant magnifique, et le pauvre débutant tombé n’eût pas pu lutter avec lui, je pense ?

— Le Porpora avait raison : vous êtes un homme infâme. Sortez d’ici ! vous ne méritez pas que je me justifie, et il me semble que je serais souillée par un regret de vous. Sortez, vous dis-je ! Mais sachez auparavant que vous pouvez débuter à Venise et rentrer à San-Samuel avec la Corilla : jamais plus la fille de ma mère ne remettra les pieds sur ces ignobles tréteaux qu’on appelle le théâtre.

— La fille de votre mère la Zingara va donc faire la grande dame dans la villa de Zustiniani, aux bords de la Brenta ? Ce sera une belle existence, et je m’en réjouis !

— Ô ma mère ! » dit Consuelo en se retournant vers son lit, et en s’y jetant à genoux, la face enfoncée dans la couverture qui avait servi de linceul à la zingara.

Anzoleto fut effrayé et pénétré de ce mouvement énergique et de ces sanglots terribles qu’il entendait gronder dans la poitrine de Consuelo. Le remords frappa un grand coup dans la sienne, et il s’approcha pour prendre son amie dans ses bras et la relever. Mais elle se releva d’elle-même, et le repoussant avec une force sauvage, elle