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consuelo.

n’est pas innocent et respectable comme toi dans sa souffrance. Il te trompe, il t’avilit, tandis que tu t’efforces de le réhabiliter. Au reste, ce n’est pas la haine et le ressentiment que j’ai voulu t’inspirer ; c’est le calme et l’indifférence. Le caractère de cet homme entraîne les actions de sa vie. Jamais tu ne le changeras. Prends ton parti, et songe à toi-même.

— À moi-même ! c’est-à-dire à moi seule ? à moi sans espoir et sans amour ?

— Songe à la musique, à l’art divin, Consuelo ; oserais-tu dire que tu ne l’aimes que pour Anzoleto ?

— J’ai aimé l’art pour lui-même aussi ; mais je n’avais jamais séparé dans ma pensée ces deux choses indivisibles : ma vie et celle d’Anzoleto. Et je ne vois pas comment il restera quelque chose de moi pour aimer quelque chose, quand la moitié nécessaire de ma vie me sera enlevée.

— Anzoleto n’était pour toi qu’une idée, et cette idée te faisait vivre. Tu la remplaceras par une idée plus grande, plus pure et plus vivifiante. Ton âme, ton génie, ton être enfin ne sera plus à la merci d’une forme fragile et trompeuse ; tu contempleras l’idéal sublime dépouillé de ce voile terrestre ; tu t’élanceras dans le ciel, et tu vivras d’un hymen sacré avec Dieu même.

— Voulez-vous dire que je me ferai religieuse, comme vous m’y avez engagée autrefois ?

— Non, ce serait borner l’exercice de tes facultés d’artiste à un seul genre, et tu dois les embrasser tous. Quoi que tu fasses et où que tu sois, au théâtre comme dans le cloître, tu peux être une sainte, une vierge céleste, la fiancée de l’idéal sacré.

— Ce que vous dites présente un sens sublime entouré de figures mystérieuses. Laissez-moi me retirer, mon maître. J’ai besoin de me recueillir et de me connaître.