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consuelo.

caprices, toutes les exigences, tous les ridicules d’une coquette. Voilà le caractère de la plupart des hommes de théâtre. Il y a de grandes exceptions ; elles sont si rares, elles sont si méritoires, qu’il faut se prosterner devant elles, et leur faire plus d’honneur qu’aux docteurs les plus sages. Anzoleto n’est point une exception ; parmi les vaniteux, c’est un des plus vaniteux : voilà tout le secret de sa conduite.

— Mais quelle vengeance incompréhensible ! mais quels moyens pauvres et inefficaces ! En quoi la Corilla peut-elle le dédommager de ses mécomptes auprès du public ? S’il m’eut dit franchement sa souffrance… (Ah ! il ne fallait qu’un mot pour cela ! ) je l’aurais comprise, peut-être ; du moins j’y aurais compati ; je me serais effacée pour lui faire place.

— Le propre des âmes envieuses est de haïr les gens en raison du bonheur qu’ils leur dérobent. Et le propre de l’amour, hélas ! n’est-il pas de détester, dans l’objet qu’on aime, les plaisirs qu’on ne lui procure pas ? Tandis que ton amant abhorre le public qui te comble de gloire, ne hais-tu pas la rivale qui l’enivre de plaisirs ?

— Vous dites là, mon maître, une chose profonde et à laquelle je veux réfléchir.

— C’est une chose vraie. En même temps qu’Anzoleto te hait pour ton bonheur sur la scène, tu le hais pour ses voluptés dans le boudoir de la Corilla.

— Cela n’est pas. Je ne saurais le haïr, et vous me faites comprendre qu’il serait lâche et honteux de haïr ma rivale. Reste donc ce plaisir dont elle l’enivre et auquel je ne puis songer sans frémir. Mais pourquoi ? je l’ignore. Si c’est un crime involontaire, Anzoleto n’est donc pas si coupable de haïr mon triomphe.

— Tu es prompte à interpréter les choses de manière à excuser sa conduite et ses sentiments. Non, Anzoleto