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consuelo.

n’ai pas vu Anzoleto depuis avant-hier au théâtre. Je le crois malade.

— Malade ? lui dit le professeur en haussant les épaules. Viens avec moi, pauvre fille ; il faut que nous causions ; et puisque tu prends enfin le parti de m’ouvrir ton cœur, il faut que je t’ouvre le mien aussi. Donne-moi le bras, nous parlerons en marchant. Écoute, Consuelo, et pénètre-toi bien de ce que je vais te dire. Tu ne peux pas, tu ne dois pas être la femme de ce jeune homme. Je te le défends, au nom du Dieu vivant qui m’a donné pour toi des entrailles de père.

— Ô mon maître, répondit-elle avec douleur, demandez-moi le sacrifice de ma vie, mais non celui de mon amour.

— Je ne le demande pas, je l’exige, répondit le Porpora avec fermeté. Cet amant est maudit. Il fera ton tourment et ta honte si tu ne l’abjures à l’instant même.

— Cher maître, reprit-elle avec un sourire triste et caressant, vous m’avez dit cela bien souvent ; mais j’ai vainement essayé de vous obéir. Vous haïssez ce pauvre enfant. Vous ne le connaissez pas, et je suis certaine que vous reviendrez de vos préventions.

— Consuelo, dit le maestro avec plus de force, je t’ai fait jusqu’ici d’assez vaines objections et de très-inutiles défenses, je le sais. Je t’ai parlé en artiste, et comme à une artiste ; je ne voyais non plus dans ton fiancé que l’artiste. Aujourd’hui, je te parle en homme, et je te parle d’un homme, et je te parle comme à une femme. Cette femme a mal placé son amour, cet homme en est indigne, et l’homme qui te le dit en est certain.

— Ô mon Dieu ! Anzoleto indigne de mon amour ! Lui, mon seul ami, mon protecteur, mon frère ! Ah ! vous ne savez pas comme il m’a aidée et comme il m’a respectée depuis que je suis au monde ! Il faut que je vous le dise. »