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consuelo.

belle, quoiqu’un peu singulière, leur plairait encore, quand même elle serait détestable : c’est quelque chose dont leurs oreilles ne sont pas rebattues. Ta beauté a été pour les trois quarts dans le petit succès que tu as eu au premier acte. Au dernier on y était déjà habitué.

— Dites aussi que la belle cicatrice que vous m’avez faite au-dessous de l’œil, et que je ne devrais vous pardonner de ma vie, n’a pas peu contribué à m’enlever ce dernier, ce frivole avantage.

— Sérieux au contraire aux yeux des femmes, mais frivole à ceux des hommes. Avec les unes, tu régneras dans les salons ; sans les autres, tu succomberas au théâtre. Et comment veux-tu les occuper, quand c’est une femme qui te les dispute ? une femme qui subjugue non-seulement les dilettanti sérieux, mais qui enivre encore, par sa grâce et le prestige de son sexe, tous les hommes qui ne sont point connaisseurs en musique ! Ah ! que pour lutter avec moi, il a fallu de talent et de science à Stefanini, à Saverio, et à tous ceux qui ont paru avec moi sur la scène !

— À ce compte, chère Corilla, je courrais autant de risques en me montrant auprès de toi, que j’en cours auprès de la Consuelo. Si j’avais eu la fantaisie de te suivre en France, tu me donnerais là un bon avertissement. »

Ces mots échappés à Anzoleto furent un trait de lumière pour la Corilla. Elle vit qu’elle avait frappé plus juste qu’elle ne s’en flattait encore ; car la pensée de quitter Venise s’était déjà formulée dans l’esprit de son amant. Dès qu’elle conçut l’espoir de l’entraîner avec elle, elle n’épargna rien pour lui faire goûter ce projet. Elle s’abaissa elle-même tant qu’elle put, et elle se mit au-dessous de sa rivale avec une modestie sans bornes. Elle se résigna même à dire qu’elle n’était ni assez grande cantatrice, ni assez belle pour allumer des passions dans