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consuelo.

tante. Elle renvoya sa sœur et sa femme de chambre ; et, malgré elle, un éclair de joie ranima ses traits en se trouvant auprès de celui qu’elle avait craint de ne plus revoir. Mais Anzoleto la connaissait trop pour chercher à la consoler. Il savait bien qu’au premier témoignage de pitié ou de repentir, il verrait sa fureur se réveiller et abuser de la vengeance. Il prit le parti de persévérer dans son rôle de dureté inflexible ; et bien qu’il fût touché de son désespoir, il l’accabla des plus cruels reproches, et lui déclara qu’il venait lui faire d’éternels adieux. Il l’amena à se jeter à ses pieds, à se traîner sur ses genoux jusqu’à la porte et à implorer son pardon dans l’angoisse d’une mortelle douleur. Quand il l’eut ainsi brisée et anéantie, il feignit de se laisser attendrir ; et tout éperdu d’orgueil et de je ne sais quelle émotion fougueuse, en voyant cette femme si belle et si fière se rouler devant lui dans la poussière comme une Madeleine pénitente, il céda à ses transports et la plongea dans de nouvelles ivresses. Mais en se familiarisant avec cette lionne domptée, il n’oublia pas un instant que c’était une bête féroce, et garda jusqu’au bout l’attitude d’un maître offensé qui pardonne.

L’aube commençait à poindre lorsque cette femme, enivrée et avilie, appuyant son bras de marbre sur le balcon humide du froid matinal, et ensevelissant sa face pâle sous ses longs cheveux noirs, se mit à se plaindre d’une voix douce et caressante des tortures que son amour lui faisait éprouver.

« Eh bien, oui, lui dit-elle, je suis jalouse, et si tu le veux absolument, je suis pis que cela, je suis envieuse. Je ne puis voir ma gloire de dix années éclipsée en un instant par une puissance nouvelle qui s’élève, et devant laquelle une foule oublieuse et cruelle m’immole sans ménagement et sans regret. Quand tu auras connu les