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consuelo.

— Ne crois pas que j’aie été effrayée. Je ne suis ni jalouse ni méchante ; et les succès d’autrui n’ayant jamais fait de tort aux miens, je ne m’en suis jamais affligée. Mais quand je crois qu’on veut me braver et me faire souffrir…

— Voulez-vous que j’amène la petite Consuelo à vos pieds ? Si elle l’eût osé, elle serait venue déjà vous demander votre appui et vos conseils. Mais c’est un enfant si timide ! Et puis, on vous a calomniée aussi auprès d’elle. À elle aussi on est venu dire que vous étiez cruelle, vindicative, et que vous comptiez la faire tomber.

— On lui a dit cela ? En ce cas je comprends pourquoi tu es ici.

— Non, madame, vous ne le comprenez pas ; car je ne l’ai pas cru un instant, je ne le croirai jamais. Oh ! non, madame ! vous ne me comprenez pas ! »

En parlant ainsi, Anzoleto fit scintiller ses yeux noirs, et fléchit le genou devant la Corilla avec une expression de langueur et d’amour incomparable.

La Corilla n’était pas dépourvue de malice et de pénétration ; mais, comme il arrive aux femmes excessivement éprises d’elles-mêmes, la vanité lui mettait souvent un épais bandeau sur les yeux, et la faisait tomber dans des pièges fort grossiers. D’ailleurs elle était d’humeur galante. Anzoleto était le plus beau garçon qu’elle eût jamais vu. Elle ne put résister à ses mielleuses paroles, et peu à peu, après avoir goûté avec lui le plaisir de la vengeance, elle s’attacha à lui par les plaisirs de la possession. Huit jours après cette première entrevue, elle en était folle, et menaçait à tout moment de trahir le secret de leur intimité par des jalousies et des emportements terribles. Anzoleto, épris d’elle aussi d’une certaine façon (sans que son cœur pût réussir à être infidèle à Consuelo), était fort effrayé du trop rapide et trop complet