Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 1.djvu/138

Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
consuelo.

— Serpent que tu es, s’écria la Corilla, où as-tu sucé le poison de la flatterie que ta langue et tes yeux distillent ? Je donnerais beaucoup pour te connaître et te comprendre ; mais je te crains, car tu es le plus aimable des amants ou le plus dangereux des ennemis.

— Moi, votre ennemi ! Et comment oserais-je jamais me poser ainsi, quand même je ne serais pas subjugué par vos charmes ? Est-ce que vous avez des ennemis, divine Corilla ? Est-ce que vous pouvez en avoir à Venise, où l’on vous connaît et où vous avez toujours régné sans partage ? Une querelle d’amour jette le comte dans un dépit douloureux. Il veut vous éloigner, il veut cesser de souffrir. Il rencontre sur son chemin une petite fille qui semble montrer quelques moyens et qui ne demande pas mieux que de débuter. Est-ce un crime de la part d’une pauvre enfant qui n’entend prononcer votre nom illustre qu’avec terreur, et qui ne le prononce elle-même qu’avec respect ? Vous attribuez à cette pauvrette des prétentions insolentes qu’elle ne saurait avoir. Les efforts du comte pour la faire goûter à ses amis, l’obligeance de ces mêmes amis qui vont exagérant son mérite, l’amertume des vôtres qui répandent des calomnies pour vous aigrir et vous affliger, tandis qu’ils devraient rendre le calme à votre belle âme en vous montrant votre gloire inattaquable et votre rivale tremblante ; voilà les causes de ces préventions que je découvre en vous, et dont je suis si étonné, si stupéfait, que je sais à peine comment m’y prendre pour les combattre.

— Tu ne le sais que trop bien, langue maudite, dit la Corilla en le regardant avec un attendrissement voluptueux, encore mêlé de défiance ; j’écoute tes douces paroles, mais ma raison me dit encore de te redouter. Je gage que cette Consuelo est divinement belle, quoiqu’on m’ait dit le contraire, et qu’elle a du mérite dans un cer-