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VI


— Pourquoi donc ne l’avez-vous pas épousé ? dit mademoiselle Verrier avec candeur.

— Je ne l’ai pas épousé, parce qu’il faut aimer passionnément pour se jeter dans la misère. Ce que nous gagnions au théâtre était si peu de chose que c’était déjà assez méritoire, croyez-moi, de nous aimer fidèlement comme nous nous aimions. Il eût bien fait, lui, cette folie de m’épouser ; mais je sentais que je n’avais pas assez d’enthousiasme pour y consentir. Ardesi était, certes, mon égal en intelligence, et j’étais encore son inférieure en talent ; mais, en dehors de son art, il manquait d’éducation première, et il m’arrivait bien souvent, malgré moi, de me rappeler les nobles manières et l’instruction, à la fois immense et charmante, du vieux patricien qui m’avait inspiré le goût des choses élevées.

« Dans ces moments-là, Ardesi buvant de la bière aigre et fumant des cigares moisis avec les machinistes du théâtre, dont les lazzi grossiers le faisaient rire aux larmes ; s’intéressant avec plus de curiosité que d’indignation aux petites turpitudes du triste milieu où, sans le faire paraître, je me sentais froissée et déplacée à mesure que je le voyais de plus près ; Ardesi, bon enfant et résigné à son sort, mais ne conce-