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l’étais plus particulièrement du signor Ardesi, le jeune basso-cantante, comme qui dirait le Tamburini en herbe de la troupe. C’était un beau garçon, brun, grand, maigre, des yeux superbes, une voix de tonnerre, un cœur excellent, un caractère gai, un artiste véritable. Il savait la musique, lui ; il savait chanter ; il donnait les plus belles espérances. Mais il ne devait pas vivre, par la raison que quand, par miracle, un homme est capable d’aimer, il faut qu’il meure bien vite, afin de laisser le monde à ceux qui n’aiment pas.

« Quand je le perdis… »

— Oh ! oh ! doucement ! s’écria madame d’Évereux, vous sautez au moins un chapitre.

— Pourquoi pas ? reprit la cantatrice. Je vous ai promis le récit de mes déceptions et rien de plus ; mais vous voulez tout savoir ! Eh bien ! j’y consens ; si je tombe dans la psychologie, nécessaire quelquefois pour expliquer les variations du cœur et de l’esprit, ce sera votre faute.

« Quand ce pauvre Ardesi m’entendit la première fois, il vint à moi dans l’entr’acte et me dit, me tutoyant d’emblée, comme c’est encore l’usage dans les troupes de province, en Italie : — Ma chère petite, tu devrais travailler, car tu as de l’avenir. — Fais-moi travailler, lui répondis-je, et je te devrai plus que la vie.

« Il me prit au mot et vint chez moi dès le lendemain. C’était un fort galant homme, et il ne voulut pas perdre le mérite de sa générosité en m’exprimant