Page:Sand - Constance Verrier.djvu/134

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas moins le meilleur garçon du monde, et qui, n’ayant pas justifié le surnom de Caïn, ne l’a pas conservé ; mais celui d’Abel nous était devenu si familier, à ma tante et à moi, que nous n’appelons jamais autrement mon fiancé, et qu’il y tient lui-même en souvenir de mon père.

« Abel fut donc appelé, et vint à moi, si pâle et si ému que je lui tendis les deux mains et l’embrassai avec un sentiment de tendresse profonde. Il avait tant aimé, tant servi, tant vénéré, tant veillé et pleuré celui que je pleurais ! — Je vous aime, lui dis-je, de toute la force de mon cœur. N’ayez aucune crainte, je n’aimerai et n’épouserai jamais que vous.

« J’étais, en lui disant cela, tranquille comme me voici. Il tomba à mes pieds, presque évanoui, et ne put répondre que par des sanglots.

« Cette émotion violente m’étonna d’abord, et puis, tout à coup, elle me gagna, je ne sais comment. Je crois que l’amour est une surprise, et que cela fait partie de ses délices. L’homme en a l’initiative ; c’est, je crois encore, dans l’ordre des choses saintes que Dieu a établies. Je n’avais encore aimé Abel que parle cœur et la raison. Je l’aimai tout à coup avec l’attendrissement extraordinaire qu’il éprouvait lui-même, et dont il me révélait la force impétueuse et sacrée.

« Ma bonne tante fut heureuse de me voir si touchée. Elle ne connaît pas l’amour, elle. Elle déclare n’en avoir qu’une idée très-vague ; mais elle y croit comme à Dieu, dont la notion n’est pas plus claire