CADIO. Une grâce, messieurs les bleus ! Laissez-moi jouer un air de biniou avant de mourir ! C’est ma prière, à moi !
MOTUS. Ou ton signal pour appeler les autres brigands ? Dis donc, blanc-bec, on n’est pas dupe comme ça dans les bleus !
CADIO. Vous me refusez ça ? Allons ! la volonté de Dieu soit faite ! Bandez-moi les yeux que je ne voie pas les fusils ! Oh ! les fusils !… Bandez-moi les yeux !
LE CAPITAINE, à Henri. Singulier mélange de peur et de courage ! (À Motus.) Bande-lui les yeux.
CADIO, les yeux bandés, à genoux. Ô mon bon Dieu du ciel, me ferez-vous grâce ? Je n’ai ni trahi ni menti ! Je n’ai pas voulu tuer, on me tue ! Prenez ma vie en expiation de ma peur ! Adieu, mon biniou et les beaux airs de ma musique ! adieu, les grands bois et les grandes bruyères ! adieu, les étoiles de la nuit, le bruit des ruisseaux et du vent dans les feuilles ! Je ne verrai plus la belle plage et les grosses pierres de Carnac, où je cueillais des gentianes bleues comme la mer !
HENRI, au capitaine. Artiste et poëte !
LE CAPITAINE. Hélas ! oui, mais fanatique et espion !
HENRI, à part, triste. Au service de mon oncle probablement !
LE CAPITAINE. Voyons, essayons encore. (À Motus un signe d’intelligence. Motus arme sa carabine. Cadio frissonne et tombe la face contre terre.)
HENRI, s’approchant de lui. Parleras-tu ? Il est temps encore.
CADIO. Parler ? Jamais ! Tuez-moi… Dieu m’a pardonné, je sens ça dans mon cœur, me voilà en état de grâce. Tuez-moi vite !
LE CAPITAINE, fait signe à Motus qui se retire, et il ôte le bandeau