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pas à tes combats, tu n’auras jamais un nom qui remplisse une page de l’histoire, et dont l’éclat efface celui que ton rival a reçu de ses pères. Elle ne rougira pas de t’avoir méconnu, elle ne se doutera pas que tu es supérieur à son idole ! » Voilà ce que je me disais, Henri ! Ah ! pourquoi as-tu mis dans mon cœur cette soif de devenir un homme ? Je ne pouvais pas aspirer à demi, moi qui dès l’enfance m’étais paresseusement abandonné à la facile douceur de ne rien être ! J’étais heureux comme l’oiseau des bois et comme la fleur des bruyères ! Tu m’as fait croire que la race humaine était plus noble, plus digne du regard de Dieu ; hélas ! j’ai foulé aux pieds la musette du bohémien, et j’ai pris le sabre qui donne l’envie de tuer, le cheval dont la course enivre ! J’ai respiré l’odeur de la poudre, et je me suis cru bien grand ! Pauvre fou ! j’oubliais que l’homme développe en lui, avec la fièvre de la lutte, la fièvre de l’amour, et que plus il fait bon marché de sa vie, plus il est avide d’un jour où sa vie se complète par le bonheur. Ah ! mes amis, n’admirez pas votre ouvrage, vous avez fait un malheureux !

MARIE, lui prenant la main. Si Louise avait quitté brusquement Saint-Gueltas pour venir avec toi, est-ce que tu l’aurais estimée ?

CADIO. Il y a eu un jour où, dans l’horreur du carnage, elle m’a mis une arme dans la main en me disant : « Garde-moi, venge-moi ! » Elle ne savait ce qu’elle faisait, elle l’a oublié peut-être ! Moi, je m’en souviens, car, ce jour-là, j’étais passé dieu, j’étais invulnérable ! Une seule petite blessure a fait couler mon sang, elle l’a essuyé, elle pleurait. Moi, j’étais heureux, j’étais fou ! J’aurais dû mourir ce jour-là.