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l’homme d’un peu de boue. Les moines m’avaient appris cela ; je me sentais avili dans ma chair et dans mon âme par cette croyance triste et basse. Je l’avais gardée pourtant ! Vivant en plein air et dormant sans abri, je me demandais souvent : « Quelle différence y a-t-il entre toi et l’épine ou le caillou ? » Je ne m’aimais pas, je ne me respectais pas. Si je ne faisais pas le mal, c’est que je ne savais pas le faire. J’ai commencé à me compter pour quelque chose le jour où tu m’as donné ton amitié ;… mais, le jour où j’ai senti la haine, j’ai porté enfin mon existence tout entière, et j’ai compris que l’homme était, non pas une figure de terre et d’argile, mais un esprit de feu et de flamme. J’ai juré, ce jour-là, de me venger en devenant plus que ceux qui m’ont dédaigné comme un faible ennemi ou comme un ami indigne. Tu m’as dit : « Sois homme, sois soldat. » Oh ! je l’ai voulu, je le veux ! Mais quoi ! j’étais mourant ; tu ne savais que faire de moi ; tu m’avais amené ici où ton service t’appelait. En entrant dans cette ville terrible d’où Carrier venait de partir la veille, j’ai tremblé. Oh ! je me souviens bien ! je voyais et j’entendais tout malgré le mal qui me rongeait. Tu m’avais fait mettre sur une charrette avec d’autres malades. Nous marchions au centre de ton régiment. C’était le soir, une nuit pâle et froide. Tu m’avais enveloppé de ton manteau. Tu poussais ton cheval près de moi pour voir si j’étais mort, car je n’avais plus la force de te répondre. Nous traversions un long faubourg brûlé par les Vendéens et devenu depuis un vrai charnier où on les fusillait par centaines. On n’avait pas encore ramassé ceux qui étaient tombés là dans la journée ; les bras manquaient sans doute. La peste et la famine étaient ici,