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LOUISE. Je crois que vous ferez encore des prodiges d’audace, de persévérance et d’habileté, mais je ne crois plus au succès. Hélas ! vous périrez victime de votre zèle !… S’il en doit être ainsi, pourquoi risquer dans une lutte sanglante le dernier espoir qui nous reste ?

SAINT-GUELTAS. Quel est donc cet espoir, si nous abandonnons la partie ?

LOUISE. Celui de voir la Révolution se dévorer elle-même et faire place au besoin que la France éprouve de revenir à la civilisation.

SAINT-GUELTAS. La solitude vous a créé d’étranges utopies, ma chère Louise. La civilisation que la France d’aujourd’hui appelle et désire, c’est la négation du passé, que nous voulons rétablir. Elle veut l’égalité, qui, selon nous, est la barbarie. Croyez-vous possible que le bourgeois, dévoré d’ambition, renonce à un état de choses qui lui ouvre toutes les carrières, et qu’il consente à rétablir nos priviléges, qui l’excluaient du concours ? Non, jamais plus le plébéien ne nous cédera le pas de bonne grâce. Il faut donc nous annihiler devant lui et nous faire plébéiens nous-mêmes, ou il faut l’écraser et le réduire au silence. Pour ma part, j’y suis résolu, et, si je succombe, j’aime mieux la mort qu’une vie d’abaissement et de honte.

LOUISE. C’est bien de l’orgueil ! mon père ne pense pas comme vous.

SAINT-GUELTAS. Avant la Révolution, votre père, endormi, dirai-je corrompu par la vie frivole et raisonneuse de Paris, avait admis les idées nouvelles et fait alliance avec les philosophes. Sa piété et son sentiment chevaleresques l’ont ramené à nous, — à