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lieu de la lutte, ils ne surent que faire, à qui se rallier et comment passer à travers les partis sans être suspects aux uns, écrasés par les autres. Enfin, vers le soir, rassemblés dans un poste qui leur était confié et honteux de n’avoir pu servir à rien, ils arrêtèrent un passant qui, pour son malheur, portait une blouse ; ils étaient deux cents contre un. Sans interrogatoire, sans jugement, ils le fusillèrent. Il fallait bien faire quelque chose pour charmer les ennuis de la veillée. Ils étaient si peu militaires, qu’ils ne surent même pas le tuer ; étendu sur le pavé, il râla jusqu’au jour, implorant le coup de grâce.

Quand ils rentrèrent triomphants dans leur petite cité, ils avouèrent qu’ils n’avaient fait autre chose que d’assassiner un homme qui avait l’air d’un insurgé. Celui qui me raconta le fait me nomma l’assassin principal, et ajouta : « Nous n’avons pas osé empêcher cela. »

Voilà pourtant un fait historique des mieux caractérisés, il résume et dénonce une époque : aucun journal n’en a parlé, aucune plainte, aucune réflexion n’eût été admise. La victime n’a jamais eu de nom ; le crime n’a pas été recherché ; l’assassin a vécu tranquille, les bons bourgeois et les bons artisans qui l’ont laissé déshonorer leur campagne à Paris se portent bien, vont tous les jours au café, lisent leurs journaux, prennent de l’embonpoint et n’ont pas de remords.