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ce temps-là ? C’était un petit barbouilleur, qui n’avait pas su amasser quatre sous, et personne ne faisait attention à lui. Était-il mieux tourné que moi, plus jeune, mieux élevé ? Nous avions été éduqués l’un comme l’autre ; j’étais l’aîné de cinq ans, voilà tout. Je n’étais pas le plus laid, et il n’était pas beau, lui ! Il savait dire un tas de paroles : il a toujours été bavard. J’en disais moins, mais c’était du solide. Nous n’étions ni plus ni moins roturiers l’un que l’autre, étant frères de père et de mère. J’avais déjà amassé près d’un million que personne ne savait ! Avec un million, on fait bien des choses que mon frère ne pouvait pas faire : on endort la justice, on apaise des parents, on a des protections intéressées qui ne s’endorment pas ; avec un million, on va jusqu’au roi, et on peut très-bien épouser une fille noble qui n’a rien. Si le monde crie, c’est parce que chacun voudrait bien avoir le million dans sa poche. Enfin mon million prouvait bien que, si j’étais un peu moins beau parleur que mon frère, ce n’était pas faute d’esprit et de génie. Voilà ce que la demoiselle aurait dû comprendre. Je ne lui demandais pas de m’aimer tout de suite, mais d’aimer assez son André pour l’oublier et l’empêcher d’aller pourrir en prison. Eh bien, au lieu de reconnaître mon bon sens et ma générosité, voilà une prude qui se fâche, qui me trouve grossier, qui me traite de mauvais frère et de malhonnête homme, et qui décampe de chez moi sans me dire où elle va, risquant le tout pour le tout, et me laissant une lettre