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couvert d’une toile verte ; mais à cette toile il y avait une fente imperceptible, à cette vitre dépolie il y avait une veine transparente, et par cette fissure perfide, habilement découverte et habilement cachée, il voyait tous les jours madame d’Estrelle errer à travers les bosquets de son jardin et parcourir l’allée que, du pavillon, on découvrait tout entière. Julien savait, à une minute près, les heures assez régulières de cette promenade. Quand un incident quelconque en dérangeait l’habitude, des pressentiments mystérieux, des instincts divinatoires qui n’appartiennent qu’à l’amour, et surtout aux premières amours, lui faisaient connaître l’approche de Julie. Il avait alors mille prétextes, plus ingénieux les uns que les autres, pour écarter l’œil vigilant de sa mère et pour contempler sa belle voisine, ou bien il avait quelque chose à chercher dans sa chambre, il montait au premier, et, sa mère étant en bas, il entrait dans la chambre de sa mère et regardait à travers la jalousie. Enfin il adorait Julie depuis quinze jours, et Julie pensait qu’il ne l’avait jamais aperçue, et madame Thierry mentait sans le savoir en disant que son fils ne pouvait rien voir de l’atelier et ne regardait jamais par les croisées de sa chambre.

Il y avait bien pour Julien lui-même quelque chose d’insensé, ou tout au moins d’inexplicable, dans cette passion soudaine qui l’envahissait, lui raisonnable à tous autres égards ; mais, comme à tout effet il y a une cause, c’est à nous de la chercher, et de ne pas admettre trop d’invraisemblance dans les faits humains.