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tait si cher. Comme ce jour-là, elle entendit remuer le feuillage et vit le moineau élevé par Julien qui battait des ailes et semblait hésiter à se poser sur son épaule. Le petit animal avait pris goût à la liberté. Julien, ne pouvant le retrouver au moment du départ, l’avait laissé là avec l’espoir que Julie, dont il ne prévoyait pas la longue absence, serait bien aise de l’y retrouver. Depuis son retour, Julie l’avait aperçu quelquefois non loin d’elle, amical et méfiant. Elle avait en vain essayé de l’attirer tout près. Cette fois, il se laissa prendre. Elle le tenait dans ses mains lorsque M. Antoine l’aborda.

Elle lui sourit et le salua d’un air égaré ; il lui parla sans savoir ce qu’il disait, car l’exercice absolu de sa tyrannie n’avait pu vaincre ses timidités du premier abord. Après sa minute de bégaiement incorrigible, il ne sut lui dire que ceci :

— Eh bien, vous avez donc toujours votre moineau franc ?

— C’est le moineau de Julien, et je l’aime, répondit Julie. Tenez, vous voulez le tuer ? Le voilà !

La manière dont elle parlait, sa pâleur livide et l’air de détachement féroce avec lequel elle lui présentait le pauvre oisillon tout chaud de ses baisers firent une grande impression sur M. Antoine. Il regarda Marcel comme pour lui dire : « Elle est donc folle ? » et, au lieu de tordre le cou au moineau comme il l’eût fait de bon cœur trois mois auparavant, il le repoussa en disant bêtement :