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imminent. Julien se jeta à la rive, épouvanté de lui-même, et, se couchant sur le sable, il s’écria :

— Ma pauvre mère, pardonne-moi !

Et il pleura amèrement pour la première fois depuis la mort de son père.

Les larmes ne le soulagèrent pas. Les larmes des êtres forts sont des cris et des étouffements atroces. Il rougit de se sentir faible et dut s’avouer qu’il l’était pour longtemps, pour toujours peut-être ! Il rentra mécontent de lui et maudissant presque les jours de bonheur qu’il avait goûtés. Des sentiments de rage lui vinrent au cœur, et, pendant que sa mère dormait, seul dans le jardin, à la lueur des éclairs qui embrasaient à chaque instant l’horizon, il reprocha à sa mère de trop l’aimer et de lui retirer la liberté de disposer de lui-même.

— Eh quoi ! se disait-il, vivre toujours pour un autre que soi, c’est un esclavage ! Je n’ai pas le droit de mourir ! Pourquoi ai-je une mère ? Ceux qui n’appartiennent à personne sont plus heureux ; ils peuvent, s’ils aiment encore une vie brisée, se jeter dans le désordre qui étourdit, dans la débauche qui enivre. Je n’aurais même pas ce droit-là, moi ! Je n’ai pas davantage celui d’être triste et malade. Il faut que je meure à petit feu et en souriant ; une larme est un crime. Je ne peux pas respirer avec effort, faire un rêve, jeter un cri dans la nuit sans que ma mère ne soit debout, alarmée et malade elle-même. Je ne peux pas sortir de mes habitudes, entreprendre un voyage,