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à peu entrevu une partie de l’effrayante vérité. Julie était libre, puisque Marcel l’avait juré sur son honneur à différentes reprises ; mais sur d’autres points il ne jurait pas, il n’affirmait pas, il ne faisait que présumer. Il se refusait avec une adroite obstination à écouter aucune confidence, ce qui lui rendait plus facile la tâche d’éluder beaucoup de questions. Le plan machiavélique de M. Antoine était trop bizarre pour être accessible à la loyale pensée de Julien. Il ne supposait pas la jalousie possible sans amour, et il eût cru profaner l’image de Julie en admettant que le vieillard fût amoureux d’elle. Le vieillard n’était point amoureux, la chose est certaine ; mais il était jaloux de Julien comme un tigre, et la jalousie sans amour est la plus implacable. Julien le croyait fou. Peut-on deviner les combinaisons d’un fou ?

Mais ces combinaisons, quelles qu’elles fussent, pouvaient-elles agir sur la raison de Julie ?

— Non ! se disait Julien, aucune considération d’argent n’a pu toucher ce noble cœur. Julie veut rompre avec moi, elle accomplit en silence cette rupture qui lui coûte, mais qu’elle croit nécessaire. Elle a tremblé pour sa réputation ; la marquise l’a menacée de la perdre, et ses amis ont dû réussir à lui prouver qu’on ne se réhabilite jamais en épousant un plébéien. Telle est l’opinion du monde. Julie s’est crue un instant au-dessus de ces préjugés ; son amour pour moi lui a trop fait présumer de la force de sa raison. Son caractère est grand, mais l’esprit était peut-être