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beaucoup contre vous. Je ne suppose pas que la marquise veuille vous faire jeter, vous dans un couvent, lui à la Bastille, pour délit de mésalliance : elle n’a pas de droits sur vous : mais elle vous fera beaucoup plus de mal en vous décriant, et vous n’aurez pas pour vous rendre intéressante les rigueurs de la persécution. On vous connaît, on vous sait austère ; la réaction sera d’autant plus violente et implacable contre vous, et les vieilles prudes iront partout disant que, de telles unions menaçant de se réitérer dans le monde, cela ne se peut souffrir et doit être vilipendé. Les beaux esprits eux-mêmes — quelques-uns d’entre eux protègent Julien — n’oseront pas vous défendre. Eux aussi appartiennent au monde aujourd’hui. On ne les persécute plus, on les caresse, on les encense, et Paris frémit encore du triomphe décerné à M. de Voltaire après son long exil. On se moque de Jean-Jacques Rousseau, qui se croyait encore en butte aux machinations des bigots, et qui eût pu, dit-on, vivre tranquille et honoré, s’il n’avait pas eu le cœur aigri et l’âme malade. Les philosophes d’aujourd’hui tiennent le haut du pavé ; ils n’ont plus grande envie de se battre contre le préjugé, et ce qui reste aujourd’hui de la grande croisade des libres penseurs ne taillera pas sa plume et n’affilera pas sa langue pour soutenir votre cause contre le cri des salons. Toutes ces lâchetés, toutes ces insultes retomberont sur le cœur de Julien. Il vivra dans une inquiétude et sur un qui-vive continuels ; il se brouil-