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n’eût pas écrit dans ces termes-là : Julien n’eût pas écrit du tout ! Le billet doux, que, dans le trouble de l’incertitude, elle avait trouvé assez délicat, lui parut du dernier mauvais goût ; elle le jeta aux oubliettes avec mépris… Mais si Julien eût écrit pourtant ! Sans doute il savait écrire comme il savait parler. Et pourquoi n’écrivait-il pas ?

À peine Julie s’était-elle abandonnée à ces faiblesses intérieures, qu’elle en rougissait douloureusement.

— À quoi tiennent donc ma force et ma raison, se disait-elle, puisque mon cœur s’élance ainsi hors de moi-même pour ressaisir une affection qui me fuit ? Vraiment je ne suis préservée que par l’indifférence dont je suis l’objet, et c’est une honte qui ne me guérit pourtant pas. Est-ce qu’il y a en moi un esprit de contradiction ? Il me semblait d’abord que toute entreprise de ce jeune homme m’eût révoltée et que je l’eusse repoussée avec fierté, et voilà que sa soumission m’irrite, que son silence me navre, que je lui en veux de ne plus songer à moi ! Évidemment j’ai l’esprit très-malade.

Un jour qu’elle était chez son parfumeur, elle rencontra Julien qui sortait. Il n’avait pas le droit de la saluer en public, et il feignit de ne point la voir. Elle trouva sur le comptoir un très-joli éventail qu’il avait peint pour sa mère, et qu’il venait d’apporter pour qu’on en fît la monture. Elle s’imagina que cela lui était destiné, et se promit de le refuser ; pourtant