Page:Sand - Antonia.djvu/128

Cette page n’a pas encore été corrigée

aime éperdument ! Il m’a trompée, il m’a dit qu’il vous avait à peine aperçue de loin ; mais il vous voit tous les jours, il vous contemple à la dérobée, il s’enivre, il se tue à vous regarder. Il ne mange plus, il ne dort plus, il n’a plus de gaieté, ses yeux se creusent, sa voix sonne la fièvre. Il n’a jamais aimé, mais je sais comment il aimera, comment il aime déjà. Hélas ! c’est un caractère exalté avec un esprit d’une constance extraordinaire. Découragez-le, madame, s’il est possible, en ne le regardant pas, en ne lui disant pas un mot, en ne le revoyant jamais. Ayez pitié de lui et de moi, ne venez plus chez nous ! Dans quelques jours, nous partirons ; l’absence le guérira peut-être… Si elle ne le guérit pas, je ne sais pas ce que je ferai pour ne pas mourir de douleur.

Madame Thierry pleurait à sanglots, et ses larmes avaient une éloquence de conviction qui porta le dernier coup à Julie. Tout son rêve de bonheur semblait devoir s’évanouir devant ce désespoir maternel. Cette délicieuse rêverie qui l’avait bercée, n’était-ce pas une divagation dont elle-même sourirait en franchissant le seuil de son hôtel ? Était-elle décidée à briser tous les liens du monde pour se jeter dans les bras d’un homme qu’elle venait de voir pour la première fois ? Cela était absurde à se persuader, et madame Thierry avait mille fois raison de le regarder comme impossible. Julie fit un effort pour penser comme elle et pour chasser le vertige qu’elle venait de subir ; mais il faut croire que le charme en avait été bien puissant, car il lui sembla