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vétilleux. Il avait suivi le conseil de Marcel, qui voulait amener une sorte de réconciliation entre les parties, et qui, désespérant d’entraîner madame Thierry à la moindre avance, avait jugé nécessaire de la surprendre par une entrevue fortuite avec son ennemi.

Madame Thierry, que nous vous avons montrée parfaite, et qui l’était autant que possible, avait pourtant un petit travers : sans coquetterie, sans prétention, et sans se croire jeune, elle ne s’était jamais bien dit : « Je suis vieille. » Quelle femme de son temps était plus raisonnable et plus clairvoyante ? Sa jeunesse avait fleuri dans les madrigaux, les paroles et les façons galantes. Elle avait été si jolie, et elle était si bien conservée ! Son mari, tout en la ruinant par son imprévoyance, avait été amoureux d’elle jusqu’à son dernier jour, et vraiment on eût dit que ce vieux couple était destiné à faire revivre Philémon et Baucis. À force de s’entendre dire qu’elle était toujours charmante, ce qui était vrai relativement à son âge, la bonne madame Thierry se croyait et se sentait toujours femme, et, après trente-cinq ans écoulés, elle n’avait pas oublié combien les prétentions de l’armateur l’avaient blessée dans sa dignité et dans son amour-propre. Cet homme grossier, qui avait eu l’audace de lui dire : « Me voilà, je suis riche, vous pouvez m’aimer à la place de mon frère, » lui avait causé la seule mortification réelle attachée à ce que le monde avait, dans ce temps-là, appelé sa faute. Plus tard,