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étaient venus le voir. La vérité est qu’il n’avait aucun préjugé, qu’il était poli et hospitalier envers tout le monde ; mais il avait une aversion invincible pour les grisettes. Il fallait que ce sentiment eût acquis chez lui une grande violence ; car il était combattu par une habitude de courtoisie envers le beau sexe et la prétention de n’être pas absolument étranger à l’art de plaire. Mais autant il aimait à accueillir gracieusement les personnes des deux sexes qui reconnaissaient humblement l’infériorité de leur rang, autant il haïssait dans le secret de son cœur celles qui traitaient de pair à compagnon avec lui sans daigner lui tenir compte de son affabilité et de ses manières libérales. Il consentait à être le meilleur bourgeois du monde, pourvu qu’on n’oubliât point qu’il était marquis et qu’il ne voulait pas le paraître.

Les artisanes de L…, avec leur jactance, leurs privilèges et leur affectation de familiarité, étaient donc nécessairement des natures antipathiques à la sienne, et il est très-vrai qu’il les souffrait difficilement dans sa maison. Il ne pouvait supporter qu’elles s’arrogeassent le droit de s’asseoir à sa table sans son aveu, et il ne manquait pas, lorsque sa salle à manger était envahie par ces usurpateurs féminins, de leur céder la place et d’aller aux champs. Ce procédé lui avait aliéné la considération des grisettes les plus huppées, d’autant plus qu’elles voyaient fort bien l’adjoint de la commune, personnage revêtu d’une blouse et d’une paire de sabots, et même le