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reste et s’aperçut en rougissant, lorsque la cloche du dîner sonna, qu’elle était seule avec lui, que le reste de la société était bien loin dans le fond du verger.

L’affabilité du marquis se soutint assez bien pendant tout le temps du dîner : même au dessert il s’égaya jusqu’à adresser quelques lourdes fadeurs aux beaux yeux d’Henriette et aux jolies petites mains blanches de Geneviève. Joseph était un convive excellent, un vigoureux buveur, capable de tenir tête à toute une noce depuis midi jusqu’à trois heures du matin, et jamais maussade après boire, point querelleur, point casseur d’écuelles, incapable de méconnaître ses amis dans l’ivresse. Il se conduisit si bien cette fois, et sans cesser d’être aux petits soins pour les dames, il fit si bien fête au petit vin de la côte Morand, que le marquis sortit de table la joue enluminée, l’œil brillant et la mâchoire lourde. Joseph croyait avoir triomphé de sa colère et s’applaudissait intérieurement de son habileté ; mais André, qui connaissait mieux son père, augurait moins bien de cet état d’excitation. Il savait que jamais le marquis n’avait une clairvoyance plus implacable que dans ces moments-là. Il l’observait donc avec inquiétude et s’observait lui-même scrupuleusement, dans la crainte de dire un mot ou de faire un geste qui réveillât les souvenirs confus du cheval et du char à bancs enlevés.

Le marquis jusque-là ne comprenait pas trop clairement en quelle société Joseph et ses sœurs