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Ce qui le rendait remarquable dans le temps où nous vivons, c’est qu’après avoir usé et abusé d’une vie de triomphes et de plaisirs, il était encore, à trente ans, aussi jeune de corps et d’esprit, aussi impressionnable, aussi naïf de cœur, aussi droit de jugement que le premier jour. C’était une si belle organisation, que nul excès n’avait pu la flétrir au physique, nulle déception la déflorer au moral. Les funestes enivrements qui dévorent tant d’existences vulgaires, et même beaucoup d’existences choisies, n’avaient rien épuisé, rien terni dans la sienne. Ceci est un phénomène que l’affectation du scepticisme rend très-difficile à constater de nos jours, mais dont l’existence n’est pas une pure fiction de roman. Il est encore de ces natures privilégiées dont la virginité morale est inviolable et qui ne le savent pas elles-mêmes.

D’Argères avait aimé souvent, et beaucoup aimé ; mais, faute de rencontrer sa pareille, il n’avait jamais été lié par l’amour. Il avait souffert, il avait fait souffrir. Né pour être fidèle, il avait été volage. Sincère, il avait trompé en se trompant lui-même sur la durée et la portée de ses affections. Les amours faciles ne l’avaient pas empêché d’être l’éternel amant du difficile. L’idéal remplissait son âme sans l’attrister. Le positif avait accès dans sa vie sans la dévorer. Tout entier à ce qui le passionnait, il regardait peu derrière lui, devant lui encore