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public de l’Opéra, français exige plus le jeu que le chant chez l’acteur, et ne comprend pas toujours que la douleur soit plus belle dans l’âme que dans les bras. Quand Rubini pleure Lucie, la main mollement posée sur sa poitrine, les gens qui écoutent avec les yeux le trouvent froid ; ceux qui entendent sont saisis jusqu’au fond du cœur par cet accent profond qui sort des entrailles, et qui, sans imitation puérile des sanglots de la réalité, sans contorsion et sans grimace, vous pénètre de son exquise sensibilité. C’est ainsi qu’Adriani l’entendait ; mais il était sur la scène du drame lyrique, il lui fallait trouver ce qu’on appelle, en argot de théâtre, des effets. Il le savait, et il en avait entrevu de très-simples, que son inspiration ou son émotion devaient faire réussir ou échouer. Ayant cherché dans le plus pur de sa conscience d’artiste, il se fiait à sa destinée.

Il arriva donc à sa loge sans aucun trouble, et attendit le signal sans vertige. L’homme qui a veillé avec toute sa capacité et toute sa volonté à l’armement de son navire, s’embarque paisible et se remet aux mains de la Providence, préparé à tout événement. Adriani était préservé par son caractère, par son expérience, par sa tristesse même, de la soif de plaire, de la rivalité de talent, de l’angoisse du triomphe, tourments inouïs chez la plupart des artistes. Il ne voyait, dans le combat qu’il allait livrer, que l’accomplissement d’un devoir inévi-